En passant ici j’ai eu envie de vous donner des nouvelles. Quelques nouvelles de celle qui n’en finit pas de partir et qui pourtant est toujours là. Je suis là comme les vieux chanteurs qui font une tournée d’adieux chaque année, je suis toujours sur la scène de la vie.
Je regarde juste les choses avec un peu plus de distance mais pas toutes, certaines choses sont bien proches, bien réelles bien tangibles.
J’ai toujours cette méningite sauf qu’elle semble depuis quelques semaines s’être mise en mode pause et n’évolue pas trop vite. J’ai toujours cette métastase et qui sait peut-être d’autres mais comme on ne fait plus que du soin palliatif on s’en fout un peu des bilans d’imagerie, on ne sait pas où elles sont. Le palliatif c’est traiter les symptômes et essayer de limiter les dégâts ce qui est déjà ambitieux.
A mon niveau ça se traduit par des comprimés et des gouttes à prendre à heures fixes et sans se tromper. Une belle quantité et une variété assez large. Les anti ci et les anti ça , les enrobés les sécables les gélules, les orodispersibles et les autres. Petits ou gros, roses, blancs ou jaunes demandez je jongle avec comme une infirmière et son tableau de distribution.
J’ai tenté le pilulier et l’alarme de mon téléphone mais le pilulier n’est pas adapté. Alors j’ai juste gardé l’alarme quatre fois par jour et une liste à cocher de chaque prise effectuée pour ne pas oublier. Parce que la méningite joue avec ma mémoire immédiate. La méningite et le stress, la méningite et les effets indésirables de certaines molécules, le stress et les effets indésirables ou les trois combinés. On s’en moque en fait de qui fait quoi, le problème c’est que je perds un peu la mémoire immédiate. Alors je stratégise, je note et j’essaie de compenser. Et quand j’ai oublié je le dis, c’est simple de rendre les armes et de cesser de vouloir tout contrôler quand ton corps commence à te lâcher et que tu ne le contrôles plus complètement. Physiquement j’ai changé, j’ai pris du volume à cause de la cortisone et que ce soit le bas du visage ou mon abdomen j’ai le Pompidou malade de 1973 qui pousse.
Après la période de fatigue intense, j’ai repris ma marche quotidienne, à plus petit pas, plus lentement mais je marche dans ma campagne. J’étonne mes soignants avec mes quelques kilomètres quasi quotidiens. A petits pas et doucement les pieds dans des bonnes chaussures pour que mon cerveau comprenne qu’il est inutile de me faire croire que je vais tomber. Il est taquin ce cerveau il me fait croire que mes jambes se dérobent sous mon poids, il veut me clouer chez moi et je résiste encore.
J’ai fait l’acquisition d’un système de bouton d’alarme si en étant seule j’ai besoin de secours. Je ne porte pas le bouton, ça n’est pas intelligent mais je vais finir par le prendre ce fichu pendentif.
J’ai vu tout le printemps alors que je croyais mourir vite et l’été arrive déjà. Je finis par croire que je vais aussi le traverser sans pour autant pouvoir faire de projets. Aucun jour ne ressemble à la veille.
J’ai eu le temps de finir Cher Léon, j’ai eu le temps de faire éditer le livre, de le recevoir et d’en être fière pour mes enfants, pour Alice et pour la mémoire des miens.
Il me faut trouver de quoi m’occuper, quelque chose qui ne nécessite pas trop de concentration, pas trop d’efforts intellectuels, parce que mon cerveau n’est pas toujours au top de sa forme. Ce matin il est 4.24 lorsque j’écris ces lignes, mes nuits sont hachées menues et le démarrage de mon cerveau sujet à des pannes, je dois les accepter et attendre que toutes les connections se remettent en route. Je dois accepter que mes yeux certains jours refusent de travailler avec l’écran de mon ordinateur.
Pour le moment les douleurs sont sous contrôles alors je ne me plains pas, pas trop.
Pas trop, parce qu’il reste d’autres défaillances physiques moins sympas et dont on ne parle pas par pudeur ou par tabou.
La pudeur c’est juste ce qu’il te reste. Tu gardes ça pour tes intimes et encore les pannes fonctionnelles de ton corps ça regarde tes soignants et toi.
En dehors de la méningite et de la métastase j’ai toujours ce cancer du sein qui se promène ailleurs et particulièrement les métastases cutanées qui restent encore sagement sous la barrière de la peau que je crème comme aux plus beaux jours de la chimiothérapie pour éviter de me retrouver avec des plaies qui puent et qui suintent. J’ai toujours mes séances de drainage par ma kinésithérapeute pour que le lymphœdème de mes bras ne se mute en lymphangite. Bref il faut être sur tous les fronts et ne pas perdre de vue que chaque jour compte qu’il faut en faire quelque chose sinon à quoi bon le vivre.
La fin de vie c’est épuisant et je ne suis pas encore au bout puisque je suis là assise devant mon écran à taper sur mon clavier.
Je ne suis pas encore au bout mais j’ai dû rayer des tas de choses sur la liste des activités envisageables. Le bruit me gêne toujours même si je le supporte mieux certains jours. Je n’ai plus de soirée parce que mon cerveau s’éteint à 21 h précise chaque soir. Parfois il donne des signaux plus précoces et il est inutile de combattre, mes yeux se ferment il est temps de me coucher pour ce qui peut être une nuit ou une sieste de deux heures. Il faut accepter ce sommeil en pointillés et s’occuper entre les phases de repos.
Je ne suis pas encore au bout parce que je me réveille après chaque période de sommeil aussi courte soit-elle.
Je pense à la fin, j’ai été visiter une unité de soins palliatifs, je repense à la Suisse et au suicide assisté.
Le curseur du signal de fin se déplace un jour en avant, un jour je le recule. Je suis toujours sereine sur l’idée de mourir c’est le comment, le quand et le où qui me préoccupent.
Je ne vous dis pas que ceci est le dernier billet, je suis bien capable de revenir ici encore une fois. Peut -être le quatre juillet pour le troisième anniversaire de mon cancer, qui sait ?
Quelques nouvelles
Par Manuela
16 Commentaire(s)
Je pense à vous. Vous savez si bien nous transmettre la puissance de chacune des minutes lorsqu’elles entrent dans la categorie des minutes d’une PDBJ …
je vous souhaite d’en savourer le plus possible.
Je pense très souvent à toi, garde tout comme tu es, rigole et râle, écrit et dort, l’essentiel est invisible aux yeux….
Je te dessine un mouton ?…
Euh…non, une lionne?
je t’embrasse.
Pierrette
Magnifique témoignage Manuela, tellement utile aussi!
Tu es incroyablement touchante et de plus en plus…
Je te souhaite encore pleins de “putains de journée”!!!!
Je t’embrasse
Reine
Je vous souhaite beaucoup d’amour et de sérénité … Vivez l’instant présent et prenez soin de vous ….
Vos sœurs de combats sont avec vous …merci pour tout
Juste merci.
Des tonnes de bisous mémé si je ne commentais jamais je te lisais. Je verse des larmes en te lisant car le cancer fait partie de nos vies, trop!!!! Et c est injuste même si toi tu es sereine on trouve ça tellement dégeulasse
Bonjour,
Juillet, l’occasion des fêtes d’anniversaire si je me souviens bien.
La tribu, la cuisine, la campagne, marcher ..
L’aide viendra quand elle sera souhaitée, c’est ce que j’ai appris.
On glose beaucoup sur la “pleine conscience”, on ferait mieux de vous écouter et vous lire.
Il y a deux sortes de “teignes”; les “teignes”, et les “teignes ashkénazes”. C’est le jeu idiot des classements arbitraires qui ne veulent rien dire, mais sont toujours comiques.
Donnez-vous encore plus de douceur.
Cordialement,
Dunes.
<3 <3 <3 <3 <3 <3 <3 <3 <3 <3 <3 <3 <3 <3
Ce temps supplémentaire, ses matins qui continuent de se lever…c’est la vie qui célèbre la grande dame que vous êtes ….
Sourire et armes mêlées
Et une immense tendresse
Tu partages et ta vie est dans chaque mot que tu écris, chaque miette de bonnes choses que tu cuisines, chaque pas de ta balade, chaque souffle d’air que tu respires. Et tu partages tout, tellement.
On te suis des yeux et du cœur parce que tu es précieuse, et qu’on voudrait te transmettre avec tendresse notre énergie, nos soleils, nos émerveillements. Ces petits rien tellement importants, de ceux qui donnent le souffle pour avancer.
Aller Mâ, il y a encore un coin de ciel bleu en Provence, il est pour toi.
les mots sont justes, sur une situation qui ne l’est pas. Je t’embrasse, ainsi que tes proches.
J’imagine qu’à un moment se dessine la grande balance humanité, dignité, tendresse vs l’insupportable.
En te lisant, en pensant fort à toi j’espère qu’on fait poids sur le premier plateau.
Tiens, ajoute ces quelques grammes
et bien profite , profite comme tu peux ! tout est bon à prendre !
je t’embrasse aussi ;)
Question fondamentale : quand?
Parce qu’on a pas envie de laisser ceux qu’on aime, même si les enquiquinements quotidiens, ceux dont on ne parle pas par pudeur, sont prégnants.
Parce que chaque jour apporte sont lots de petits bonheurs : voir le soleil se lever, réaliser les réveils des neurones, marcher à petits pas…
Parce que finalement on est bien, vivant, quand le cocktail de petites pilules a fait effet, qu’on est confortable et qu’il n’y a pas d’effet rebond .
Parce que… on a bien envie de voir de quoi demain sera fait…
Finalement peu importe le comment et le qui…
Prends ton temps Manu, tu es une curieuse de la vie
Profites à fond de l’amour des tiens.
Et puis l’été est une belle saison.
Iris
Je pense à toi souvent et si je n’envie pas. ce qui t’arrive, j’envie ta sérénité qui n’a pas l’air du tout de n’être qu’apparente.
Encore une putain de belle journée. Savourons.
Je t’embrasse