Paradoxe du cancer la plupart des malades choisissent de dissimuler leur maladie tant que cela est possible, de vivre caché, de rester dans le placard. Ce comportement fait penser à celui de certains homosexuels dans les sociétés et environnements hostiles et condamnant leur identité.
L’homosexualité aujourd’hui n’est plus un délit et les droits des communautés LGBT finissent par être reconnus dans beaucoup de pays et je m’en réjouis. Je m’en réjouis parce que je pense qui on ne choisit pas qui on est, on ne choisit pas hélas son environnement non plus et l’homophobie qui a sévit et continue d’exister dans certains milieux ici et dans beaucoup de pays a forcé les homosexuels à recourir à des stratégies pour ne pas être reconnus, ostracisés en public ou pire encore victime de discrimination. Je ne suis pas lesbienne, je le précise pour celles et ceux qui verraient dans mon introduction une déclaration. Je ne suis pas lesbienne mais je suis malade.
Le cancer, les cancers vous changent au delà de votre apparence physique, brutalement ou lentement, insidieusement ou ouvertement. Il y a des cancers qui se voient, il y a des traitements qui vous rendent visiblement différents. Mais tous les cancers changent ce que vous êtes, ils modifient votre rapport au temps, votre rapport aux autres et surtout la maladie attaque de front la structure de votre pensée.
J’ai choisi ici de parler de mon cancer et comme je l’écrivais dès juillet 2013 cela constituait pour moi une thérapie, sans le savoir , sans avoir étudié le sujet mon outing cancer contribuait à me faire accepter ce qui allait modifier ma vie et celle de mes proches et mon récit de patiente/malade, mon autopathographie contribuait à mettre en perspective la médecine classique dite médecine basée sur les faits.
Dans un article Narrative-Based Medicine: Potential, Pitfalls, and Practice, les auteurs Kalitzkus et Matthiessen rapportent l’exemple d’un centre de traitement du cancer dans le Vermont où une personne ressource, désignée par le terme medical humanist, aide les patients à décrire, dans leurs mots, leur expérience de la maladie, le sens qu’elle revêt pour eux et toute autre information jugée importante par le patient. Ce document est par la suite joint au dossier médical du patient, au même titre que les tests de laboratoire. Le rôle et l’impact du medical humanist est décrit de la manière suivante :
«By recongnizing that the language of medecine and the language of the patient’s world transformed by illness are not the same, the medical humanist creates a communication bridge. And in so doing, provides support to both doctor and patient as they face uncertainity.»
En français cela signifie qu’en reconnaissant que le langage de la médecine et la langue du monde du patient transformé par la maladie ne sont pas les mêmes, le médiateur humaniste crée un pont de communication. Et ce faisant, il apporte son soutien à la fois au médecin et au patient comme ils font face à l’incertitude. Rien de tel n’existe au Centre Léon Berard où je suis suivie et, à en juger par le nombre de connexions provenant de leur réseau et entrant sur ce site, où je suis aussi lue. Ma parole n’y est pourtant pas prise en compte, pas de médiateur humaniste dans le paysage. Rien de tel et moins encore.
On m’a reproché cette mise à nue numérique, on ne manquera pas de me critiquer pour la mise à nue un peu plus intime qui arrive avec la sortie du livre. Autant le dire je m’en contre cogne. J’ai développé ces cinquante cinq dernières années assez de stratégies pour m’immuniser contre la critique de mes comportements, opinions et choix. Je suis née juive et je le suis restée, cette composante de mon identité m’a permis de garder souvent la tête haute et parce que j’ai la nuque raide* ou plutôt parce que je suis réfractaire à la critique, je vais mon chemin sans trop me soucier de ce qu’on pense de moi en dehors d’un cercle intime bien balisé. J’ai ces dernières semaines expérimenté les attitudes souriantes et amicales de certains et les petites trahisons mesquines d’autres. Rien que la vie normale. Les critiques du titre du livre identique au blog et pour certains journalistes/médecins du contenu du blog jugé trop dur à leurs yeux envers leurs confrères (pas le cancer), allié à un corporatisme de bon aloi ont eu pour effet de décevoir l’attachée de presse de la maison d’édition qui a tenté de me cacher les réactions de certains qui pourtant me lisent ici et sur les réseaux et donnent l’illusion de l’empathie.
Que mes soignants soient rassurés aucun nom n’est divulgué et seul le microcosme du centre de lutte contre le cancer de Lyon se reconnaîtra.
Le hasard du calendrier fait que je traverse depuis quelques mois une période où ma santé n’est pas la meilleure – euphémisme pour signifier que je vais encore moins bien qu’après la chimiothérapie- que j’ai consulté et que cette semaine bilans médicaux et promotion du livre se télescopent. Mon oncologue a jugé que mes symptômes invalidants et ma parole ne nécessitaient pas l’urgence et a donc donné ordre de retarder de trois semaines les examens, depuis trois semaines j’attends. Mon époux, optimiste incorrigible, essaie de combattre mes angoisses, lui et le Xanax réunis n’y arrivent pas. Seuls les résultats des examens pourraient lever le poids d’un diagnostic inquiétant. Mais nous y sommes, l’attente s’achève. Il faut donc passer l’obstacle et y aller sans le masque qui nous est intimé de revêtir pour ne pas paraître ce que nous sommes à savoir, malades, diminués, inquiets, pressés de connaître ce qui nous attend.
Ce masque physique et psychique je l’ai jeté. Jeté dès le début et tant pis si ma vision en indispose, tant pis si ma présence ne convient pas à certains. Ma maladie ne me convient pas, ma prise en charge médicale n’a pas toujours été la meilleure ni la plus empathique. La technicité a toujours primé sur la parole. Je ne devrais pas me plaindre je suis vivante.
La femme que je suis ne peut se contenter d’une prise en charge ou la composante humaniste est reléguée au magasin des accessoires avec les perruques, le maquillage et les prothèses mammaires qui impérativement vous sont proposés pour rester bien sagement dans le placard. Dans le placard qui vous rend invisible. Il est plus que temps de sortir les cancéreux du placard, de faire un outing cancer et d’écouter les paroles parfois dérangeante pour les soignants des réfractaires que nous sommes parfois.
La traduction chrétienne du chapitre 33 de l’Exode transcrit
“Vous êtes un peuple à la nuque raide, si je montais au milieu de toi, ne fût‑ce qu’un moment, je t’exterminerais. Et maintenant, dépouille‑toi de tes parures, que je sache comment te traiter.”
or la traduction hébraïque dit :
“Vous êtes un peuple réfractaire; si un seul instant je m’avançais au milieu de vous, je vous anéantirais. Donc, déposez vos ornements et j’aviserai à ce que je dois vous faire. Les enfants- d’Israël renoncèrent à leur parure..”
La propagande des industriels a eu son effet : nous n’empoisonnons personne, sinon tout le monde serait cancéreux ! C’est vous qui êtes une malfoutue, une tarée génétique, qui réagissez mal à nos produits merveilleux !…
Comme ils ont dit : 20% (je crois) de causes génétiques, 80% de causes comportementales… c’est-à-dire génétiques, car si on est drogué au tabac, (bien qu’on ait même parfois des ascendants morts du cancer du poumon,) c’est qu’on est fait comme ça ! La cause est entendue.
Bonjour Manuela,
1/ c’est une excellente-bonne idée que ce médiateur humaniste…Un truc bizarre en plus?
Je ne sais pas mais je ressens très certainement que cette médiation bouge les lignes.
Souvent, presque toujours, le mauvais patient -est mauvais patient celui qui ne guérit pas- est l’ennemi du médecin. Il pousse le médecin face à ses faiblesses, ses incapacités…ce qu’on attend de lui:- guérir, n’advient pas et c’est terrible.
Mais c’est bien plus terrible pour le patient que pour le médecin!
Cette médiation change la nature de la maladie dans la relation du médecin au patient. D’autres variables strictement individuelles interviennent et permettent de personnaliser et fantasmer cette maladie qui de ce fait est finalement celle du patient!
Et après ce qui se fait de cette maladie est comme un partenariat. Moi, il m’a toujours étonné de voir que décrire sa maladie enquiquine le médecin quand la description sort des clous tels que le médecin l’a appris et que le patient décrit des trucs différents que le médecin ignore. La maladie n’est plus celle du médecin, celle qu’il connait, celle pour laquelle il a une potion ou au moins un mode d’action; là la maladie est une manifestation trop individuelle et dépossède le médecin de son savoir. Encore un peu et le médecin te dirait ce que tu dois ressentir!!
Je persiste donc dans mes obsessions:
-soigner une personne, non pas une maladie.
-Ne pas “imaginer” la médecine en voulant sauver à tout prix mais en voulant aider.
Ce tout petit glissement de point de vue, cet autre état d’esprit simplifierait à mon sens la relation du médecin au malade et débarrasserait peut-être le milieu médical de son orgueil démesuré. Mais bon, hein, ce n’est que parole de patiente!
Et c’est sans doute en grande partie pour cette raison que le généraliste est souvent un meilleur interlocuteur pour le patient . Il soigne une personne en contextes divers, la suit depuis un bout de temps et avec l’aide de son expérience et d’une prise nécessaire avec la réalité il a compris qu’il fallait laisser son orgueil derrière soi. Parce qu’au bout du bout c’est bien du patient et de sa maladie qu’il s’agit et non pas du médecin et de sa maladie “idéale”non fantasmée.
2/ Merci pour l’explication des “nuques raides” qui tombe à pic après une lecture obscure où cette expression est apparue quelques fois.
Et “fuck your cancer” à plus m