Quand tu dis cancer il y a ceux qui entendent Frau Blücher et il y a les autres, celles et ceux qui se souviennent d’un ou une amie, d’un père, d’un mère, d’un proche. Malades survivants ou morts d’un cancer. Voici les mots que les lecteurs m’ont adressé, anonymes ou non à la suite de mon appel à texte : WRITE ON ! Je publierais au fur et à mesure les réponses toujours dans la catégorie Cancer et vous, vous aussi envoyez vos contributions
C‘est la première fois que je poste sur un blog. Et que je me livre, toute nue, à une inconnue. Je suis une conjointe. Une conjointe collaboratrice d’abord, statut officiel de la Chambre de Métiers et de l’Etat, est-à-dire que je travaille au quotidien avec mon mari, artisan plombier à son compte. Et depuis le 7 octobre 2014, je suis la conjointe d’un malade qui a un cancer du colon. Le 26 novembre dernier, mon mari a eu une colectomie droite. Le chirurgien lui a ouvert le ventre et lui a retiré 32 cm de colon qui abritait un adénocarcinome lieberkühnien de 5 cm sur 4. Et ce 26 novembre, à 18h45, je suis allé rejoindre mon mari dans sa chambre en soins continus. J’ai vu mon homme, mon tarzan, blanc comme les draps de son lit, tout froid et perdu. Je lui ai fait des bisous sur le front parce que la sonde naso-gastrique passait devant sa bouche. Et je ne vous parle pas des drains et drogues que le staff lui injectait. Je lui ai caressé ses cheveux et ses joues.
Il a pleuré en ouvrant les yeux. Et je l’ai câliné, encore et encore, embrassé tout doucement, encore et encore. Et je lui ai tenu la main en le caressant. Et encore. Jeudi 4 décembre, après 10 jours d’hospitalisation, retour à la maison : il ne peut même pas porter mon sac à main. Je sais, le sac à main d’une femme c’est sa maison, mais il ne pesait pas 2 kg. Mais mon chéri en a perdu 12, depuis l’annonce, les douleurs et le régime. Donc il n’est pas de taille. C’est pourtant un Zorro : ce jeudi 11 décembre il connaît la classification de son cancer pT3N1, La chimio devrait suivre maintenant. Aujourd’hui dimanche il fait de la moto. Il coach son fils qui travaille sans lui dans l’entreprise familiale. C’est Batman, mon héros. Ma drogue à moi, même si notre couple n’est pas orthodoxe. On travaille ensemble, on parle boulot le jour et la nuit, il y a les cris, les engueulades, mes pleurs, nos sorties l’un sans l’autre. 25 ans cette année. Je lui ai fait la proposition de renouveler nos vœux. Histoire de bien lui faire comprendre que je serai toujours là, quoiqu’il arrive, quoiqu’il décide. Les réjouissances sont prévues le 21 mars 2015. J’ai aussi remis sur le tapis ses projets de voyages rugbystiques mis en suspend. Je prends des libertés dont je n’ai pas peut-être pas le droit. Mais devant son affirmation de « vouloir tenir encore 3 ans, juste le temps pour finir d’apprendre le métier à son fils », je pleure de consternation : ok, c’est ton choix, louable ma foi. Mais et moi, et ton fils ainé ? Nous deux ? Ben oui, c’est sa maladie, son corps. Sa vie aussi, même si je la partage. Je suis effondrée parce je ne sais plus. Je fais bien ou mal ? Est-ce que je suis vraiment un soutien, une aide ? Il ne veut plus que je lui parle de son cancer et de la chimio. Il faut dire que je passe mes nuits sur internet, à rechercher les pronostics de survie, a essayer de comprendre l’évolution naturelle d’un cancer. D’essayer d’évaluer les cures de chimio. Et ensuite je suis une vrai radio, sans bouton marche-arrêt.
Il peste parce qu’il a plein de rendez-vous médicaux et qu’il ne peut pas travailler. Il ne veut pas s’arrêter de travailler. Perdre des chantiers et ses clients est une catastrophe pour lui, et semble plus important que sa famille. Que moi. Hélas, le cancer n’a rien à voir là dedans ma bonne dame. C’est simplement un invité de plus à l’équation : cancer+chimio= arrêt de travailler / arrêter de travailler=perte des clients+plus perte de revenus / perte de la clientèle=perte de l’entreprise familiale qui a 22 ans+perte définitive des revenus. Ce qu’il voudrait brut de décoffrage : pas de chimio, vivre comme avant, le plus longtemps possible, et mourir. C’est brutal, injuste, et égoïste. Non, c’est lui, tout simplement. Il voudrait pourvoir surveiller l’intrus, pour gagner du temps sur le moment où il devra passer à la chimio et s’en débarrasser. Je crois hélas, que cela n’est guère possible. Alors je vais laisser le soin à l’oncologue de le lui dire mercredi prochain. Je suis terrorisée : attendre est un supplice, et faire partie d’une mort annoncée est une situation abjecte.
Je prends maintenant sur moi pour lui ficher la paix. Tout ça, pour vous dire que je voudrai tant qu’il me rassure. Qu’il parle, lui qui ne dit pas souvent. Qu’il me dise, qu’il m’aime, mais qu’il partira, bientôt. Et qu’il le regrette, de me laisser seule. Que le voyage se terminera de toute façon de la même manière. Qu’il ne faut pas avoir peur. Eh ben si, na. Mais bon, je suis une pugnace, après ces quelques lignes, je me sens d’attaque. Jusqu’à quand …. Je verrai. Mais qu’est ce que ça m’a fait du bien de vous écrire. Je ne sais plus très bien ou j’en suis, et si je n’ai pas trop bousculé mon mari jusqu’au coup de gueule. Je vais me recentrer. Promis, je vais faire des efforts. Ou pas. Au revoir. Bien à vous, et bonne continuation, et que le meilleur gagne. Désolée, je n’ai pas pu m’en empêcher.
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