Au mois d’août 1975, j’étais dans le Middle West, au bord du Lac Supérieur, j’avais quinze ans et Janis Ian chantait At seventeen. Je voulais avoir dix-sept ans.
Vieillir pour certains c’est un truc improbable qui a du charme quelques temps, souvent avant quarante ans et qui sur la fin devient franchement une plaie. J’en connais qui font des crises existentielles, qui larguent tout femme ou mari, enfants, carrière qui fuient pour échapper au temps qui passe.
J’en connais qui se mettent à la guitare électrique et pensent avoir encore quinze ans, passent leur temps avec des jeunes pour faire croire que leur DLC est toujours aussi lointaine.
Il y a ceux qui étaient en costard cravate ou polo veste et se mettent d’un coup un bonnet sur la tête, même à l’intérieur et pourtant ils ont encore plein de cheveux. Ça leur fera un stock pour le jour où la chimio aura fait effet.
Celles qui malgré leurs genoux pleins d’arthrose se baladent à grand risques pour leurs chevilles sur des talons de 12.
Il y a ceux qui font une dépression à la cinquantaine comme si ce jour de plus dans leur vie avait changé toute leur perspective.
Il y ceux qui se plaignent d’avoir perdu du temps. Ceux qui veulent le rattraper.
Il y a aussi celles et ceux qui se botoxent, liftent et utilisent tout moyen pour figer le temps sur leur visage.Tous les adeptes du jeunisme. Tous les esclaves des diktats sociétaux du moment.
Il y a les malades, les femmes et les hommes, plus jeunes, plus vieux, très jeunes, très vieux, entre deux dizaines comme moi, les encore plus jeunes que moi, qui savent que leur vie sera raccourcie, qui savent que chaque jour compte, qui se lèvent en se disant « Encore une putain de belle journée à vivre« . Nous, et je ne pense pas m’avancer avec ce nous collectif, nous aimons vieillir.
Vieillir, décliner, déchoir, se décatir, dater, ravager, rider, labourer, sillonner, raviner, plisser, mûrir, affiner, faire de vieux os, prendre de la bouteille, prendre de l’âge, prendre un coup de vieux, la langue française est riche de synonymes pour définir le temps qui passe. J’adore le temps qui passe, parce que ce temps est le mien.
J’aime mes rides, j’aime mes cheveux blancs. Je n’ai plus à me soucier de mes seins qui tombent, il reste le ventre et les fesses mais je m’en moque, mon corps me préoccupe autrement, d’une manière plus générale, plus profonde. Ce cancer n’a rien changé, j’ai toujours aimé changer d’âge, peut-être était-ce lié au fait que j’étais la plus jeune et que naïvement je comptais rattraper les grands. Rapidement, j’ai pris conscience de cette impossibilité. Mon problème aujourd’hui est vais-je continuer de vieillir ? Madame Irma n’étant pas appelée à la barre, on verra. On vivra ce qu’on vivra et on verra.
Presque quarante ans après cet été 75, dans quelques jours, je vais célébrer mon anniversaire et depuis quelques temps je me surprends à être impatiente. Ne crois pas que ce soit pour la fête, les cadeaux, la présence de ma famille. C’est pour le plaisir de dire j’ai cinquante-cinq ans. Il y dix-huit mois je ne pariais pas un kopeck sur cette phrase.
Hier je disais à ma fille cadette que je ne comprenais pas ce que cela signifiait, cinquante-cinq ans c’est l’âge de quoi ? On se comporte comment quand on atteint cet âge ? Comme la veille, pas la vieille.
Avec le plaisir d’une nouvelle journée, l’espoir qu’il en restera d’autres, beaucoup d’autres. Si possible j’aimerais les vivre en bon état, enfin au moins dans un état qui ne soit pas pire que celui d’aujourd’hui. Je sais bien que statistiquement c’est improbable. Alors oui, je suis impatiente de changer d’âge.
Et pour le coup je te montre les cinq dernières années.
C’est maintenant la troisième fois que je te lis. Et vois tu, moi, je viens de « recevoir »(à l’alsacienne) mes 55 ans. Et bien que je comprenne absolument ce que tu dis….Je t’envierais presque ta rage et ton énergie quand je suis là à subir non pas un corps malade mais un corps qui manifeste un peu trop à mon goût le passage vers un autre âge. Je ne crains ni mes cheveux blancs, ni mes rides, ni… mais je ressens très nettement un passage certes obligé mais m…
Serais je plutôt une baba yaga ou une Carmen Cru?
Continue à vieillir avec opiniâtreté afin que je puisse te lire et que tu me donnes des coups de pied au cul.
Quel beau texte, intelligent et tendre ! Quel hymne à la vie ! les bagarreuses sont les gagnantes ! … les portraits <3
Bisou
1,57 m c’est pas bien grand , non c’est le talent de Laurence
Fais donc mentir les stats, t’es belle comme tout Ma, je vois la même gamine sur la dernière photo de l’article que sur la première, c’est dingue ! Le talent de ta chère Laurence ? Ou tu es juste une grande jeune fille ? Bisous plein, Ma !