J’aurais pu appeler ce billet carnaval mais le jeu dont je vais te parler ne consiste pas à se déguiser mais à répondre à un diktat non écrit, non formulé, celui de rester invisible. Le cancéreux et a fortiori la cancéreuse est soumise à une pression sociale qui lui intime l’ordre de se rendre invisible, difficile à débusquer, alors elle se cache, elle se maquille pour masquer la chute de ses cils et sourcils, elle porte une perruque et des prothèses pour cacher l’absence de cheveux et le changement de forme ou de volume de ses seins. Cachez ce cancer que je ne saurais voir!
Dans un film de 2005 diffusé récemment sur Arte il est question de Sophie, une jeune femme atteinte d’un cancer du poumon qui “duperait la faucheuse” (la mort est si con) par le port de neuf perruques. Si le film, basé sur une histoire vraie et se situant en Allemagne, aborde bien la difficulté et l’angoisse de la mort pour les jeunes malades, il y est aussi question du cancer précédent de la mère et la place de cette dernière dans l’histoire mériterait un autre article.
J‘avoue avoir eu du mal à gober le rôle des neufs perruques comme moyen pour affronter la maladie. Chacune des perruques représente un aspect de la personnalité de Sophie. Chaque perruque est nommée et lui donne accès à un autre aspect de ce qu’elle est. Sophie se donne une nouvelle identité en fonction de la perruque qu’elle porte. “A travers ce jeu, elle développe une combativité importante pour lutter contre son cancer.” La perruque ou les perruques dans son cas feraient donc fonction d’objet transitionnel. Pour la cancéreuse l’équation serait perruque = doudou, un doudou rassurant qui la maintiendrait dans la vie, mais aussi un objet qui la morcellerait, comme si la maladie nécessitait de multiples personnalités pour affronter la réalité. Les perruques lui donnent l’illusion d’être une parmi les autres, de nier la maladie, de se fondre dans la foule mais comme toute illusion cela ne fonctionne qu’un temps.
J‘avais rangé les prothèses en mousse au retour de la chirurgie et dès ma première consultation avec mon oncologue j’ai rejeté le port de la perruque. Je ne critique pas le choix des autres malades, ce rejet est le mien. Je n’ai pas eu besoin de cacher ma maladie, ni par le port de prothèses dans un soutien gorge, ni par le port d’une perruque. Même si j’ai un peu engueulé une ministre, il ne s’agissait pas d’un acte militant, je ne me baladais pas pour autant torse nu les cicatrices de mastectomie à l’air ou le crâne nu. Enfin le crâne nu si, quand il faisait beau et que mes petits-enfants n’étaient pas là. Je n’avais jamais eu de doudou non plus et j’avais résolu depuis quelques dizaines d’années mes soucis de multiples personnalités avec plusieurs psychanalystes quand le cancer est arrivé. Parmi les femmes que j’ai côtoyées pendant les chimiothérapies, nombreuses étaient les porteuses de perruques. Toutes avaient opté pour des prothèses de sein externes ou une reconstruction et je me sentais un peu seule avec mes choix dénués d’artifice. Pendant la période où j’avais enfin l’air malade c’est à dire cernée, libérée de tout poil ornemental j’ai vaguement amélioré mon aspect en crayonnant des semblants de sourcils, histoire de redonner un peu de relief à mon visage. Vaguement. Sans trop y croire. Je ne me sentais pas différente d’avant, j’étais restée moi, l’image que je renvoyais aux autres m’était indifférente, l’image que le miroir me renvoyait ne me convenait pas plus qu’avant le cancer. J’ai fini par accepter ce corps abîmé, les balafres laissées par le chirurgien et je savais que la chute de mes cheveux n’était que transitoire. Il se trouve que cela recommence dans une moindre mesure à cause de l’hormonothérapie et à nouveau j’accepte.
Si tu ne me lis pas pour la première fois tu as fini par comprendre que je ne suis pas très perméable aux injonctions, celles relatives à la féminité selon le code en usage ne font pas exception. En bonne santé, ou malade je suis une femme, avec ou sans cheveux, avec ou sans utérus, avec ou sans seins. Je suis une femme et une femme visible je ne me cache pas et je sais pourquoi. Je ne me cache pas , parce que d’autres femmes avant moi ont eu à le faire pour sauver leur vie lorsqu’elles étaient en danger, je ne me cache pas parce que d’autres femmes ont combattu pour que j’ai des droits, pour que malade ou en bonne santé je puisse choisir seule, sans pression, sans tuteur, ce que je fais de ma vie. J’aime changer d’aspect, il m’arrive même de porter des robes, il m’arrive de me maquiller. Je ne suis pas une extrémiste radicale du naturel, j’élimine les poils disgracieux qui abondent depuis la ménopause pour ne pas ressembler à Tatie poireaux, je rase mes jambes et mes aisselles. Je ne suis pas ce genre de femme là non plus.
La féminité pour moi n’est pas dans l’apparence ou alors je n’ai rien compris et dépensé trop d’argent sur le divan de mes psys. Je comprends celles qui ont besoin de porter les accessoires dont je n’ai pas voulu. Je les comprends parce que oui, être visible lorsqu’on a un cancer c’est se heurter frontalement au regard apeuré des autres qui perdent toute contenance et te sortent des énormités sans que tu les aies sollicitées. En octobre dernier j’écrivais “Quel est votre regard sur le cancéreux, la cancéreuse, qui vit parmi vous cachée sous sa perruque ses faux cils et son maquillage ou visible au bureau, dans le magasin, l’usine, l’atelier ou au Pôle emploi? Quel est votre regard vous qui l’employiez et l’avez virée ou lui refusez un emploi à temps partiel, vous qui êtes son banquier, son assureur, vous qui traitez son dossier d’assurance maladie?”
Etre visible ou non est un choix et les femmes sont assez intelligentes pour exercer ce choix toute seule, chacune à sa manière, avec ou sans artifice mais toujours vulnérables dans un monde où il faut encore cacher son cancer pour vivre tranquillement sans avoir à s’expliquer. Ou pas (citation © @xercin).
les deux je pense et une bonne ligne de vie pour y arriver. Avec des ratés hein, #nobodysperfect
Ce qui en fait revient, comme souvent, à laisser le choix à chacun(e) de porter une perruque ou pas, de se soigner ou pas, etc. Ces choix sont influencés par la façon dont on se voit dans les yeux des autres, et la représentation de la maladie en général.
Dans notre société, il n’y a pas que la maladie et ses représentations, mais le rapport global au corps, le fait de devoir être mince, de s’épiler, etc.
“La féminité n’est pas dans l’apparence”, il faut beaucoup de détachement ou de psychanalyse ;) pour parvenir à le penser et à l’assumer.