Octobre rose ce mois de la promotion de la lutte contre le cancer du sein bat déjà son plein. Le dépistage organisé du cancer du sein démarre sa campagne de recrutement. Les initiatives de pinkwashing sont à leur top : café, thé, déodorant et je ne sais quoi sont vendus avec un ruban rose. Opacité des recettes des courses, des ventes et des dons pour certains, bonne conscience pour tous. Le marketing de la peur est à son comble car le cancer n’est pas rose, il tue en France chaque année près de 12 000 femmes. A la veille de l’ouverture de la chasse aux cancéreuses potentielles, le gouvernement a lancé le 30 septembre un nouveau site web nommé concertation et dépistage.
Marisol Touraine veut recueillir notre avis
Les femmes et les professionnels sont invités à s’exprimer et on peut d’ores et déjà y lire des contributions très variées de celles qui ont un avis positif, celles qui rejettent, celles qui ont une copine qui a été sauvée. Une copine, une mère, une sœur, une épouse qui est morte. Celles et ceux qui remettent en question le dépistage organisé, son coût, son inefficacité etc
De tout ce gloubli boulga la Ministre de la Santé nous promet qu’elle tiendra compte dans une possible révision des politiques de dépistage.
Marisol Touraine veut recueillir notre avis? Permettez-moi d’en douter, c’est la même ministre qui fait passer en force une loi santé dont aucun professionnel ne veut et qui impactera durablement la qualité des soins et la prise en charge des malades, les malades du cancer inclus.
Le site Concertation et dépistage est porté par l’Institut National du Cancer et correspond pile poil à l’article 14 du Plan cancer 2014-2019, à croire que l’article 14 a été écrit par eux et pour eux. Le financement y est donc fléché. Quand aux résultats de la concertation je prédis, telle Madame Irma cancéreuse, qu’on attendra, attendra, les élections passeront en 2017 et on oubliera et rien ne changera.
Avec un peu de malchance je ne serai plus là pour le voir.
Le dépistage organisé du cancer du sein représente un coût pour la collectivité, estimé par l’UFC Que Choisir à plus de 300 millions d’euros. Les frais de gestion et de communication représentent 15 % du coût total du programme soit 45 millions de manne publicitaire. Le coût de ce nouveau site et du traitement éventuel de l’information recueillie n’est pas compris dans ce budget, il provient du Plan cancer.
Reprenons les bases : le DPO-dépistage précoce organisé– en France s’adresse aux femmes entre 50 et 74 ans et a pour but de détecter la maladie à un stade précoce afin d’éviter aux malades d’en mourir. Bel objectif. Près de 12 000 femmes meurent néanmoins chaque année à cause d’un cancer du sein. La France n’est de loin pas en pointe sur les chiffres de la mortalité selon l’OCDE malgré les dépenses de son programme de dépistage.
En mars 2010, une étude danoise a pu comparer les différences de mortalité par cancer du sein dans des régions ayant bénéficié d’un dépistage organisé, et d’autres pas. Le Danemark présente en effet une situation quasi expérimentale, car pendant 17 ans, seuls 20 % des femmes se sont vues offrir un dépistage, les 80 % restant constituent de fait un groupe de contrôle parfait. Dans les régions dépistées, chez les femmes de 50 à 74 ans susceptibles de bénéficier de la mammographie, la mortalité a diminué de 1 % par an, contre 2 % dans les régions non dépistées. Le dépistage organisé n’a donc, à tout le moins, pas eu grand effet sur la mortalité. La diminution de cette dernière pourrait s’expliquer par l’amélioration des traitements ou les modifications des facteurs de risque.
Pour qu’une politique de dépistage soit efficace il faut :
- Obtenir une forte adhésion de la population ciblée ≥ 60%
- Choisir une cible large et cohérente avec la maladie dépistée
- Un examen adapté et non invasif
- Des résultats probants
- Un traitement efficace
Dans le dépistage précoce organisé du cancer du sein en France il y a de quoi se poser des questions d’ailleurs l’INCA Institut National du Cancer écrit dans un rapport de 2013
Aucune étude ne permet en l’état d’estimer précisément l’impact du programme national de dépistage français depuis sa généralisation en raison de l’absence de population de référence: la réduction de mortalité attendue dépend fortement du taux de mortalité de départ, sachant que ce taux était relativement bas et que la pratique de « dépistage individuel » était déjà répandue en France avant la généralisation du programme.
Le rapport oublie de préciser que les traitements ont largement contribué à la baisse de la mortalité.
Ça commence bien!
En France chaque année environ 53 000 femmes sont diagnostiquées et soignées, seulement 17 000 sont diagnostiquées par le programme de dépistage organisé( Source INCA). La population ciblée dans la tranche d’âge est d’environ 4 millions et demi de femmes. Une petite moitié répond aux invitations de dépistage, donc la forte adhésion demandée n’y est pas, à tel point que depuis 2012 et la publication des derniers chiffres par l’Institut de veille sanitaire, le gouvernement et la Haute Autorité de Santé essaient de relancer par tous les moyens le DPO. 50% des cancers du sein sont diagnostiqués entre 50 et 69 ans, 28% des cancers du sein diagnostiqués après 69 ans. Il reste donc 22 % de cancers qui sont hors du ciblage DPO et du dépistage individuel.( Source INCA – HAS)
D’où l’inquiétude des jeunes femmes qui sont aussi la proie facile de conseils parfois mal/peu informés et qui vont, alors qu’elles n’ont pas de facteurs de risques particulier, entamer un cycle d’examens qui ne les concerne pas et qui pourrait contribuer avec le temps à des sur-diagnostics et probablement des sur-traitements.
L’objectif d’un dépistage en général est une adhésion à 60% ou plus de la population ciblée. Pour le DPO du cancer du sein en France l’objectif des autorités est une adhésion à 80% or nous en sommes très loin avec un chiffre moyen de 52%, peut-être est-il temps de passer à autre chose, d’autant que ce programme a un coût et que les financements de la santé sont en chute libre.
Petit rappel pour les étourdis ou les nouveaux sur ce blog dans un précédent billet je mettais déjà en avant l’échec du dépistage et les pistes que donnent les auteurs de l’étude de Harvard parue en juillet. Pour les paresseux ci-dessous un extrait de ce billet suivi d’une interview de deux acteurs du cancer du sein à Lyon
En juillet 2015, une nouvelle étude sur le dépistage a été publiée ici, elle confirme que le DPO ne sauve pas de vies et contrairement aux arguments du salmigondis que nous sert l’INCA et les ARS et les associations chargées de promouvoir de dépistage auprès des femmes le dépistage pour une population générale est INEFFICACE!
Charles Harding déclare :
«Il est très difficile de prouver qu’une technique de dépistage augmente surtout les diagnostics de cancers qui ne sont pas mortels», explique l’un des auteurs de l’étude parue dans la revue JAMA Internal Medicine, Charles Harding, un statisticien de Seattle qui a travaillé avec des oncologues, des radiologues et des épidémiologistes de l’Université Harvard. «Nous avons imaginé une nouvelle approche pour étudier la question. J’ai fait partie de groupes chargés de faire des recommandations sur la mammographie et je suis de plus en plus convaincu qu’elle ne devrait pas être appliquée à toute la population. Il faut identifier les marqueurs génétiques qui rendent certaines femmes plus susceptibles d’avoir des cancers du sein mortels et cibler cette population.»
Quel avenir pour les femmes ?
J’ai posé la question au Docteur Pierre Etienne Heudel, oncologue au Centre Léon Bérard à Lyon qui représente à mes yeux la jeune génération de médecins, celle qui remet en cause le système actuel et au Docteur David Cox biostatisticien et expert en biologie moléculaire et génétique qui travaille également au Centre Léon Berard à Lyon ainsi que dans une unité de l’Inserm. Ces deux professionnels partagent un projet commun de recherche ouvert et innovant qu’ils comptent développer sous forme associative ouverte à toutes.
Décoder l’Adn et évaluer les prédispositions statistiques à développer un cancer du sein semblent une des voies que vous explorez?
Pierre Etienne Heudel
– On est rentré dans une période charnière, où les innovations technologiques qui arrivent sont telles, qu’elles vont entraîner de profonds changements dans le monde de la santé. Parmi ces changements, l’objectif de passer d’une médecine curative qui traite à une médecine préventive est un enjeu majeur. Il faut réellement voir ces innovations comme une chance pour les femmes, grâce à l’amélioration mais surtout à la personnalisation du dépistage. Bien évidemment, dès qu’on aborde le concept de médecine prédictive on touche à un sujet sensible puisque on aborde le décodage de l’ADN et le stockage de ces données médicales. L’encadrement de telles analyses est bien sur fondamental mais il faut aussi bien faire la différence entre prédisposition et prédestination et la notion d’estimation de risque que cela entraîne. L’identification d’un risque pourra ensuite être intégré dans la pratique médicale quotidienne en travaillant sur la personnalisation du dépistage et des programmes de préventions pour les personnes identifiées comme à risque plus élevé
David Cox
– Il s’agit un simple test qui coûte 60 € et qui permet de décrire la combinaison des variants génétiques portée par l’individu, ce qui peut aider à être plus précis dans une estimation de risque. Attention il ne s’agit pas de prédire que la personne VA développer un cancer mais de calculer son risque. Le sien pas celui de la population générale.
Pourquoi ce test qui existe dans les programmes de recherche n’est pas accessible à toutes les femmes ?
Pierre Etienne Heudel
– Tout simplement, car encore aujourd’hui, il est interdit de séquencer le génome d’une personne en dehors d’un protocole de recherche.
David Cox
– En France c’est en effet une question légale. Des tests génétiques ne peuvent être demandés que par un médecin pour le diagnostic des maladies génétiques dont la liste est définie par l’Agence de Biomédecine, ou par un juge pour des questions de paternité/maternité. Les travaux qui montrent les possibilités au niveau de prédiction de risque sont tout récents. Surtout le domaine a avancé tellement rapidement que les instances de réflexion n’ont pas encore eu le temps de se pencher sur la question.du pourquoi et comment rendre ces outils disponibles.
Des tests prédictifs permettent de déterminer les risques de récidive à dix ans chez certaines patientes atteintes d’un cancer du sein, mais aussi la pertinence ou non d’une chimiothérapie. Or aucun de ces tests n’est recommandé par l’Institut National du cancer qui s’accroche au DPO en attendant que les tests « aient fait leur preuve ». On peut s’interroger sur le fait que ces tests existent et sont utilisés dans plus de 20 pays mais en France on tergiverse et on attend. Qu’en pensez -vous?
David Cox
– Il y a un certain nombre des tests, qui sont tous basés sur le taux d’expression des différents gènes dans la tumeur d’une patiente. Déjà, les tests existants ne mesurent pas tous les mêmes choses, et parfois peuvent donner des résultats contradictoires. Puis nous savons maintenant que les tumeurs sont très hétérogènes et plastique. Il est probable que ce qu’on observe dans un de ses tests n’est pas représentatif de la totalité de la tumeur, et serait peut-être différent un jour avant ou un jour après. Néanmoins, je pense que certaines patientes sont demandeuse de ce genre de test. Il faut alors trouver le moyen de leur donner le choix de le faire, puis de choisir comment réagir face aux résultats en concertation avec son équipe médicale. Cela ne fera pas de mal et peut faire du bien ne serait-ce qu’au niveau psychologique de la patiente.
A qui faire confiance ? Certainement pas aux sociétés commerciales basées à l’étranger car comme le dit l’adage si c’est gratuit ou presque c’est que vous êtes le produit.
David Cox ajoute :
– Je dirais que les femmes doivent se faire confiance – elles connaissent leurs corps mieux que quiconque. Il faut également avoir confiance dans les médecins, on peut leur poser des questions et demander d’autres avis, demander à voir des spécialistes.
En conclusion
Les femmes oublient parfois qu’elles sont des citoyennes face à la maladie aussi, si la politique de santé qui les concerne ne leur convient pas elles ont le devoir de le faire savoir à celles et ceux qui l’élabore. Je dis non au dépistage organisé du cancer du sein tel qu’il est pratiqué aujourd’hui et vous encourage à peser le bénéfice/risque de cet examen et à prendre la décision avec votre médecin de répondre ou non à l’invitation que vous recevez. Pour ma part, je n’ai plus de seins depuis août 2013, toujours un cancer et je reçois la troisième invitation à passer une mammographie de dépistage. La désorganisation du DPO !
Bonsoir,
Juste un mot : j’aimerais tellement croire au séquençage ADN qui permettrait de cibler les indications de la mammographie (qui est un excellent examen par ailleurs, du moins jusqu’à présent).
Le screening génétique est pour l’instant une utopie et, encore une fois, j’aimerais que cela fût déterminant.
Mais ce n’est pas pour demain.
J’ai écrit un billet (déprimant) sur le sujet : http://docteurdu16.blogspot.fr/2014/09/la-genetique-individuelle-nest-pas.html
La médecine personnalisée est pour l’instant le miroir aux alouettes de big pharma pour que les décideurs, les assureurs, les politiques, autorisent des recherches et la commercialisation de médicaments hyper chers…
Désolé de doucher votre enthousiasme.
Et encore une fois : j’espère de tout mon coeur me tromper.
Bonne fin de soirée.