Cher Centre Léon Berard, cher Léon
Nous allons bientôt fêter nos deux ans toi, mon cancer et moi, deux ans d’une relation très suivie, très riche en émotions, un truc un peu sadomasochiste, un « fais-moi mal Léon, Léon » que je n’avais pas vraiment souhaité mais que tu as imposé.
Je te tutoie Léon parce que notre niveau d’intimité le permet largement et que mes deux grands-pères s’appelaient aussi Léon, ça crée des liens.
Tu me connais sous tous les angles : aux rayons X, en 2D, en tranches diverses, en coupes histologiques, de face de profil, en entier ou en morceaux. Tu me connais en niveaux de gris et en couleurs, surtout le rouge vermillon de la cortisone et le gris jaune de la chimio, un peu de rouge et de bleu pour les dopplers.
Tu me connais vivante et tu connais des bouts de moi déjà morts, ces derniers sont en bocaux, en lames, en cellules, en fluides. Tu me connais sous toutes les coutures, sous toutes les sutures. Tu connais mon caractère, mon moral, mes humeurs. C’est ton privilège Léon, celui des centres de lutte contre le cancer, tout connaître des patients, tout noter , tout commenter, tout archiver. Mon dossier chez toi commence à prendre de la place, j’en suis désolée.
Cher Léon, je connais aussi presque toute ton anatomie, j’ai visité pas mal de tes recoins, seuls l’administration, la pharmacie centrale, une partie des sous-sols et le bâtiment de recherche sont restés hors champs de mes visites. Un jour peut-être tu me feras visiter mais vraiment ça n’est pas une priorité. Je connais quelques-uns de tes membres, j’ai pas mal bavardé dans tes couloirs, tes salles d’attentes, surtout tes salles d’attentes. Au bloc j’étais plus silencieuse, en salle d’examen ou de consultation je pouvais me laisser aller à poser des questions, beaucoup de questions. Pourquoi t’écrire cher Léon ? Et bien finalement pour te remercier, malgré la qualité fluctuante de notre relation, à ce stade je te dois des remerciements. Ne t’attends pas Léon à ce que je te baise les pieds ou te tresse une couronne de lauriers. Je te déçois Léon, je le sens, mais vois-tu je peux difficilement me mettre à genoux à cause des douleurs articulaires et mes mains sont interdites de travaux avec risque de piqûres pour cause de système lymphatique défaillant, pourtant je te remercie.
Alors pourquoi te remercier pour les tortures infligées mois après mois ? Pour l’attention que tu me portes, tes petits textos qui me rappellent que tu m’attends, tu oublies de me dire où exactement mais à force je m’y retrouve dans tes bâtiments. Tu as fait plein de travaux ces deux dernières années, parfois je me suis perdue dans tes étages mais finalement je n’ai loupé aucun de nos rendez-vous.
Je te remercie aussi pour tes nombreuses visites sur mon blog, toujours en douce, jamais un commentaire, t’es discret mais je te vois aller et venir vous êtes plus d’une centaine à me visiter régulièrement depuis les bureaux, encore une chance que la DSI n’ait pas bloqué l’accès. Certains viennent les jours de mes consultations, d’autres le lendemain, certains sont déçus je ne raconte plus trop mes rencontres. Je t’apporte mon compte rendu de notre belle relation couchée sur papier mat, mes impressions très personnelles de tes traitements, des loupés et des reprises comme au théâtre. Quand ça marche on refait une tournée. Léon tu aimes bien les reprises et les tournées.
Tu m’as envoyé en neurologie, cardiologie, angiologie, ophtalmologie, radiologie. C’est hors les murs ces visites parce que chez toi c’est 100% cancer. J’ai rencontré près de chez moi deux infirmières et leurs remplaçantes, une kinésithérapeute, deux psychologues, un biologiste, un pharmacien. J’ai aussi prévu endocrinologue et rhumatologue, c’est tout nouveau ça vient de tomber. Tout ce monde-là te remercie Léon je participe activement à leur chiffre d’affaire mais guère à leur bénéfice net, tu n’y es pour rien Léon ça c’est la faute de Marisol et de Michel.
D’ailleurs Marisol et Michel faudrait que je vous fasse aussi un courrier pour vous remercier et vous demander de retenir certains de vos projets, il y en a un qui me chiffonne un peu c’est la réforme de l’ALD et si je réfléchis bien vous pourriez aussi cesser d’énerver mon médecin traitant et mon pharmacien, ma kinésithérapeute, mon biologiste et les autres. Finalement Marisol et Michel vous nous fatiguez tous même Léon qui aurait bien besoin d’une rallonge pour que mes copains et moi puissions avoir un peu plus de temps de parole. Ça serait tellement mieux d’introduire un peu d’humanisme dans la relation avec Léon, un médiateur par malade comme chez les cousins d’Amérique. Ça coûte cher l’écoute et la parole et là Léon cherche 3 millions pour la recherche, toujours rien pour l’écoute et la parole.
Sans toi Léon, j’aurais aussi loupé tous ces bonheurs, toutes ces nuits blanches à me poser des questions sur le sens de la vie, ces matins calmes à réfléchir et à écrire sur mon écran, encore merci pour ces belles journées passées dans les hôpitaux lyonnais, ils m’ont même donné une carte de fidélité mais elle ne sert à pas à collecter des miles juste à imprimer des étiquettes et recevoir des SMS.
Mais cette semaine Léon, tu m’avais préparé une belle surprise, en fait j’ai fait tout moi-même de l’intérieur, mais tu en as été l’instigateur, le chef d’orchestre et le témoin. Carlo le gominé, Carlo qui se planquait bien infiltré sur mon plexus, Carlo mon carcinome lobulaire est en train de plier bagage de sa planque. Tes équipes ont tenté de le voir, il ne s’allume presque plus, soit ses batteries sont à plat soit il s’est mis aux LED basse consommation. Il est toujours là, il s’active toujours en douce c’est un pervers narcissique ce Carlo un tenace qui veut une autre part de mon gâteau. Après les seins il en veut plus, un gourmand, le DSK des cancers.
Donc Léon tous tes poisons ont fini par fonctionner, je ne sais pas lequel a été efficace, le sais-tu toi-même ? Ce qui est sûr c’est que ça n’est pas la radiothérapie, celle-là tu te souviens je l’ai refusée. Léon notre histoire ne s’arrête pas là, lundi je reviens te voir et on en parlera images à l’appui. J’attends ton SMS dimanche !
Sans rancune, bisous.
Manuela
P.S. Léon si tu le veux bien je te propose qu’on se rencontre autour du livre un de ces jours, avec ou sans un verre à toi de voir qui tu invites : malades ou soignants pour un retour d’expérience, un échange, un temps de parole autour de mon livre tu sais, celui qui dit FUCK MY CANCER. Avec un peu de chance il sera en vente au rez-de-chaussée chez toi dès mercredi ! Je te montre à quoi il ressemble pour que tu ne perdes pas de temps à le chercher dans les rayonnages. Ne me remercie pas c’est cadeau.
Promis , j essaye de venir jeudi . Amitiés
Contente de voir qu’il y a d’autres amies de Léon ! Pour celles qui le veulent ou le peuvent je serai jeudi 18 juin 2015 à 19h à la librairie Vivement Dimanche à la Croix Rousse 4 rue du chariot d’or.
Comme vous je suis suivie à cancerland , chez Léon , pour un cancer du sein . Je viens de découvrir votre blog et je vais acheter votre livre . J apprécie beaucoup votre humour et vos remarques très justes sur l univers du cancer. J espère que la taulière va finir par déloger Carlo et Tapie .
Manuela, moi aussi je fréquente Léon depuis plus de deux ans…je me retrouve beaucoup dans tes propos. Parfois de la haine, parfois de l’amour, ma relation avec Léon est presque fusionnelle…