Le ramoneur est passé nettoyer la cheminée la semaine dernière, rien que d’écrire cela j’ai envie de l’automne et des premières flambées, j’en ai assez de cet été et pourtant j’avais dit : j’aimerais encore un printemps et un été. Voilà nous sommes en septembre et je suis toujours là. Toujours vivante, diminuée, mais encore là.
– Diminuée tu exagères dis-moi ce que tu ne peux plus faire.
– Je l’ai déjà écrit, j’ai encore de la mémoire pour certaines choses !
Il fait trop chaud, j’ai envie de fraîcheur. Il fait si beau, j’ai envie de nuages.
Je voudrais mourir et suis heureuse d’être en vie. Tout et son contraire.
Le ramoneur est passé nettoyer la cheminée c’est donc le signe que je me prépare à vivre un automne et donc une nouvelle année juive et à compter les mois qui passent. J’ai le choix dans les calendriers, habituée que je suis à regarder le temps défiler selon une double chronologie.
Le ramoneur est passé nettoyer la cheminée, il faut que je fasse rentrer du bois pour l’hiver.
Le temps passe-t-il plus vite dans le décompte du calendrier hébraïque que dans le calendrier grégorien ? Dans le premier il y a quatre débuts d’années :
– L’année solaire commence le premier du mois de tichri ( entre septembre et octobre)
– L’année lunaire commence le premier du mois de nissan (entre mars et avril) et ce depuis la sortie d’Égypte, comme il est dit : « Ce mois sera pour vous le commencement de tous les mois »
– L’année fiscale commence le premier du mois de éloul (entre octobre et novembre )
– L’année agricole commence le 15 du mois de chevat (entre février et mars), jour traditionnellement appelé « Nouvel An des arbres » (Tou Bichevat)
La fixation de ce calendrier nécessite un peu d’effort et pas mal de calcul, aussi nous nous contenterons de nous reposer sur les travaux des autres qui nous communiquent chaque année les correspondances entre calendrier grégorien et calendrier hébraïque. Ce dernier ne servant qu’aux usages religieux, le premier étant utilisé dans la vie quotidienne.
Le temps du malade est-il un temps religieux ou un temps laïque ? Le temps du malade est-il le même que celui du soignant ? A ces deux questions je ne vais pas tenter de répondre l’entreprise étant trop vaste.
Commençons par le mois d’eloul dernier mois de l’année solaire mois de réparation des fautes commises intentionnellement, mois d’examen de conscience, mois de retraite intérieure. Il est temps de rétracter le temps, de demander pardon aux offensés et d’accorder pardon aux offenseurs qui le demandent.
Sur ce dernier point cette année j’ai une liste en tête mais je la garde pour moi car aucun des noms que je serais susceptible d’inscrire ne fera de demande, j’en mettrai ma main à couper.
Ma liste d’offensés est vide, non pas que j’ai été parfaite mais ma mémoire en Gruyère m’empêche de collecter une liste. Rien d’important. Si être juif consistait juste dans le fait de croire que Dieu allait examiner le cas de chacun pendant la période des jours redoutables et choisir qui sera inscrit dans le livre de la vie et qui en sera rayé pour la nouvelle année ; je ne donnerais pas cher pour ma peau.
Je vais passer pendant ce mois d’éloul la date de survie médiane des malades ayant une méningite carcinomateuse, je vais donc passer dans la classe suivante pour combien de temps, nul ne le sait ni est capable de le prévoir, rendant ce temps incertain et fragile. Je passerai le cap des 6 mois contre toute attente et n’ai pas encore de symptômes permettant de savoir quand cela s’arrêtera. Je diminue, je me diminue, je suis diminuée, mais pas assez pour m’en aller.
N’importe quoi peut m’arriver et m’emporter je suis prête. Parfois j’ai peur d’avoir mal, parfois j’ai peur d’être seule. Parfois j’ai peur d’avoir peur. Souvent je profite du temps présent. Souvent je n’ai peur de rien pour moi.
Le ramoneur est passé nettoyer la cheminée, une petite chose insignifiante mais qui pour moi a du sens. Peut-être verrais-je la première flambée. Qui sait ? Le ramoneur est passé nettoyer la cheminée pourquoi n’existe-t-il pas un ramoneur qui me nettoierait de mon cancer. Un coup d’aspirateur bien placé et fiut disparu.