Nous nous sommes croisées la veille de l’intervention chirurgicale, même chirurgien, même service, même date d’entrée. Assise sur une chaise à l’entrée du service, elle attendait avec sa maman qui faisait les cent pas et se tordait les mains. Si cela avait été ma fille, je pense que je me serais aussi tordue les mains, ou plus probablement que j’aurais gueulé pour qu’on ne la laisse pas attendre. Je lui donnais l’âge de ma plus jeune fille environ vingt-cinq ans. Si elle était là, livide, angoissée et regardant plus ses pieds qu’autre chose c’était parce que l’idée de se faire opérer de ses seins que je supposais jolis, fermes la terrorisait. Je voyais la mère tenter de capter l’attention des infirmières qui étaient en pause/réunion/café, Elle arpentait les couloirs avec ses sandales à talons.
Nous attendions nos chambres, je blaguais à voix basse avec mon mari et puis un brancardier est venu me chercher pour le marquage des ganglions en médecine nucléaire. Je suis partie à pied. Un peu plus tard elle est arrivée à son tour dans le second bâtiment, je m’en allais, elle arrivait. Un sourire, deux mots. Je ne l’ai pas croisée après l’opération dans les couloirs où sous l’auvent d’entrée de l’hôpital où je prenais l’air en fumant. J’ai entendu les sandales de sa mère dans les couloirs. Son père et un adolescent l’accompagnaient. Je lui ai parlé doucement, brave sans mes seins portant mes bouteilles et mes tuyaux dans un sac, prête à rentrer chez moi. J’a tenté de la réconforter. C’était con mais plus fort que moi. Le père a souri. Elle a esquissé un semblant de sourire. Elle aurait du porter une étiquette “Handle with care ” à manipuler avec précautions.
Hier, vingt jours plus tard elle est arrivée dans la salle d’attente des consultations post opératoires, s’est assise près de moi, la mère était cernée, elle était toujours livide. Nous avions rendez-vous l’une après l’autre, j’ai engagé la conversation, je ne vais changer de nature, j’ai pris de leurs nouvelles. Pas terribles, elle ne se remettait pas bien de l’exérèse de sa tumeur, avait mal supporté la narcose, dormait mal et me semblait déprimée à point, gobait du Tramadol qui la rendait nauséeuse. Je lui ai parlé de son généraliste, qu’il fallait qu’elle parle à quelqu’un et j’ai dit à la mère – vous aussi, Madame. Elle a parlé de la prochaine opération pour réduire le sein indemne. Je n’ai rien dit, elle venait aussi chercher les résultats d’anapath et apprendre quel serait son traitement. Des fois je sais me taire. Des fois les familles ne sont pas armées pour faire face. Kill Bill m’a fait entrer en salle d’examen, je lui ai fait signe, en passant, un sourire confiant et je suis entrée dans le cabinet de consultation.
En sortant je me suis excusée, j’avais traîné avec mes soins post op et les questions sur l’anapath et le traitement. Je regrette de ne pas lui avoir donné mes coordonnées.