FUCK MY CANCER - Le Blog cancer du sein

Deux minutes

Je vis dans une maison à un étage, ma chambre est située au rez-de-chaussée et mon bureau au premier. Pendant les longs mois de suivi chirurgical, ma chambre a été envahie de pansements et de matériel de soins pour les infirmières qui venaient quotidiennement prendre soin de moi. Les pansements ont été remplacés par un série de médicaments avec l’apparition de la chimiothérapie puis de l’hormonothérapie. Une table était envahie par les différents documents, résultats, prescriptions et notices des dites prescriptions qui majoritairement étaient destinées à traiter les effets indésirables. Un genre de cercle vicieux que nous tentions de transformer en cercle vertueux par une dé-prescription progressive qui aboutit début 2016 à l’arrêt de l’hormonothérapie.
Je me rendais au premier étage une bonne partie de la journée,  préférant utiliser mon PC de bureau et son grand écran et un clavier plutôt qu’une tablette. Monter et descendre les deux volées de marche s’effectuaient certains jours avec difficultés du fait de mes douleurs articulaires.
En mars 2016 le diagnostic de métastase méningée et de méningite carcinomateuse entraîna le retour d’une nouvelle série de prescriptions. Progressivement la table réservée à leur stockage et leur dosage reprit l’allure d’une mini pharmacie évoluant plus ou moins pour arriver aujourd’hui à un stade et un volume stable.
Les documents trouvèrent une place dans un tiroir de mon dressing. Seule la prescription en cours restait accessible pour me rappeler mes devoirs et essayer de limiter les effets secondaires. J’étais désormais en soins palliatifs. J’avais plus en plus de mal à accéder au premier étage, mais surtout du fait des épisodes de tremblements et des vertiges violents il était devenu dangereux de m’aventurer seule dans les escaliers. Plusieurs fois je loupais des marches et tombais. Ces chutes sans gravité initiale augmentaient et l’intervalle entre elles diminuait. Aucun des examens ne donnait d’explication. Mon entourage et mes médecins était inquiets de me savoir seule en grande partie du temps. J’ai donc mis le collier avec le bouton d’appel d’urgence. J’ai continué entre deux vertiges et tremblements à me rendre au premier. Jusqu’à hier matin.

Hier matin, de bonne heure je suis montée à mon bureau. Un peu plus tard j’ai appelé mon mari pour qu’il vienne m’escorter pour la descente. A peine debout les vertiges commencèrent, cramponnée à la balustrade de l’escalier j’attendais que cela se calme, mais à la place j’ai eu une crise de tremblements particulièrement violente. Mon mari m’a tenu et aidé pour que je m’assoie sur le sol. C’est assez difficile à expliquer comme symptôme. Imaginez une personne qui vous fait une béquille dans le creux des genoux (les deux en même temps), votre buste oscillant de droite à gauche ou inversement et le tout accompagné de tremblement des bras. La crise ne dure pas longtemps deux minutes au maximum. Mais deux minutes c’est long. C’est long et impressionnant pour qui en est témoin. Après m’avoir tenu fermement et aidé à me relever il m’a raccompagné à mon fauteuil de bureau pour que je récupère. Nous sommes descendus. Nous avons convenu qu’il était temps d’abandonner les visites à l’étage et envisager un aménagement de la chambre ou du salon pour y loger le PC et ses accessoires. Ce matin je vous écris du rez-de-chaussée, de ma chambre réaménagée. Je n’ai pas encore eu de crise de tremblements mais une nouveauté : migraine ou céphalée accompagnée d’éblouissements importants.
Mon espace de vie est encore une fois grignoté par la maladie. J’ai perdu le droit de conduire, celui de prendre l’avion, de me promener seule, de grimper sur un escabeau. J’ai gagné de l’aide pour m’habiller et pour effectuer toute une série de gestes de la vie quotidienne, de ma toilette. Pas grave diront les optimistes tu es toujours là et vue de l’extérieur, rien n’a changé. Ressenti de l’intérieur c’est différent. Je suis un bout de fromage que le cancer ronge, telle une souris petit bout par petit bout. Et à la fin il ne restera plus rien que le piège et un dernier morceau de fromage.