FUCK MY CANCER - Le Blog cancer du sein

Une désescalade programmée pour le CCIS

L’INCa vient de proposer ses nouvelles recommandations pour la prise en charge du cancer canalaire in situ, dit aussi CCIS. J’avais déjà évoqué ce sujet au mois d’août dernier ici, Martine Bronner réagit à la mise en ligne des recommandations de l’Institut National du Cancer et c’est avec un grand plaisir que je lui laisse la parole.

Pre Cancer ou pas cancer ?

Il y a quelques années certains disaient du CCIS que c’était un pré-cancer et cette terminologie étrange laissait la patiente en porte-à-faux. Qu’est ce qu’un pré-cancer ? Une assurance d’être malade un jour ? Quand ? Demain, après-demain, dans dix ou vingt ans ?

Selon la revue Prescrire de septembre 2013 les CCIS évoluent vers un cancer infiltrant dans un tiers des cas. Et cela dans un délai moyen d’une dizaine d’années. Alors que faire pour éviter que le pré-cancer devienne cancer ? Malheureusement le diagnostic de CCIS ne peut se faire qu’histologiquement. Ce qui veut dire que l’imagerie médicale ne suffit pas, il faut prélever des tissus et les analyser.

La situation se complique encore quand les micro calcifications sont nombreuses. Cette histoire de pré-cancer commence à devenir une vraie galère.

S’il suffisait de faire une exérèse comme on ôterait une dent, tout irait bien, mais cette exérèse devient souvent mastectomie.Et quand ce n’est « qu’une tumorectomie », il reste encore le reste des soins et ce foutu mot de « cancer » en plus qui fait un bruit de fond très gênant dans les périodes d’insomnie.

L’INCa réagit suite à de nouveaux résultats. Les dernières recommandations dataient de 2009. Entre temps il apparaît clairement que le traitement proposé en cas de CCIS doit être revu à la baisse, ce que l’INCa nomme joliment les « possibilités de désescalade thérapeutique ».

Youpi, le tamoxifène a disparu. Youpi, on propose moins de radiothérapie. Youpi, moins de chirurgie des ganglions sentinelles et encore moins de curage axillaire et quand on coupe on reconstruit illico. Youpi !

Toutes ces options restent toutefois modifiables selon les cas individuels.

Si certaines RCP ( réunions de concertation pluridisciplinaires) restent inflationnistes, le problème est loin de trouver une solution.

Mais quelle interrogation !

Compte tenu du faible niveau de preuve pour la plupart des questions, les recommandations proposées ci-dessous reposent principalement sur l’avis des experts du groupe de travail.   Page 7 paragraphe : méthode

1) J’observe la mention du faible niveau de preuves

2) Ne pouvant reposer sur ce faible niveau on s’appuie sur l’avis des experts.

Qui sont donc ces experts ?

Dans les quatre pages de noms, anatomopathologistes, oncologues, radiologues, psychologues, chirurgiens, oncogériatres et quelques patientes relectrices, où sont les généralistes ? Où sont les épidémiologistes ?

En fait, après une première lecture impressionnée devant l’ambition et l’organisation du travail, je suis à présent effarée par les omissions qui réduisent ce travail d’importance à une coquille vide.

Tous ces experts sont des travailleurs du sein, des gens qui ont le nez dans le guidon, dont l’avis et le travail est essentiel bien sûr mais qui manquent de capacité de mise en perspective.

Il ne sert à rien de remplir des formulaires de conflits d’intérêts. Tous ne vivent quasiment que du «sein».
Le conflit est patent non pas en terme d’intérêts financiers directs avec des laboratoires mais du fait d’une dépendance «existentielle» financière et intellectuelle. Cette réalité doit être considérée par l’INCa.

Constater que le CCIS est un cas propice et coutumier au sur-diagnostic et au sur-traitement c’est constater aussi que la plupart de ces experts ont contribué à cet état de fait. Ils n’en sont pas réellement coupables du fait d’une pensée dans l’air du temps, du fait de leur formation, du fait de leur croyance en une certaine science, du fait d’un imaginaire catastrophiste puissant autour du cancer du sein.

Il n’en reste pas moins qu’ils doivent en être conscients et être aptes à critiquer et évaluer leur travail.

Ce qui manque clairement dans le document de l’INCa est la mise en perspective.

C’est donc un travail qui a pris la forme d’un travail scientifique en expliquant sa méthodologie, en s’appuyant sur des études, en s’appuyant sur une pluridisciplinarité…mais uniquement en apparence.

Du fait d’un faible niveau de preuves, on fait confiance aux experts dont le travail est trop spécifique, trop précis, trop en relation avec le cancer et avec le sein pour pouvoir prendre le recul nécessaire. Et ce ne sont pas les quelques patientes relectrices qui changeront quelque chose, bien au contraire.

Il manque l’avis des épidémiologistes. Et surtout celui des généralistes.

Je ne trouve aucune mention au travail de « Prescrire » dans la revue de septembre 2013 consacré au « traitements des carcinomes canalaires in situ du sein » . Les généralistes apporteraient ici tout leur savoir empirique immensément important en regard de ce « faible niveau de preuves ».

Ils côtoient les patientes que l’oncologie ne voit plus et pourraient témoigner de l’impact social du diagnostic de cancer.

Cet impact est totalement mésestimé en oncologie. La perte de chance dont parle l’INCa n’est pas forcément celle de la patiente dont on ne soignerait pas un CCIS et qui deviendrait un cancer invasif. C’est aussi celle de la patiente qui du fait d’un « faible niveau de preuves » et par excès de précaution se voit opérée d’un sein et malade d’un cancer avec la ribambelle de tourments consécutifs au diagnostic.

Franchement avait-il un sens de faire une telle étude avec si peu d’éléments scientifiques tout en postulant une apparence, une forme scientifique ?

Page 10 des recommandations LA question essentielle est posée, celle dont parle Manuela dans son billet

Q 4. Existe-t-il une sous-population de femmes pour laquelle la chirurgie n’apparaît pas justifiée au regard de son ratio bénéfices/risques ? Le cas échéant, quelles modalités de suivi de ces femmes seraient alors recommandées ?

Voici la réponse :

Il n’est pas recommandé aujourd’hui de proposer une surveillance active comme alternative au traitement local, en dehors d’essais cliniques.

Seule réponse à une question aussi complexe où je pourrais aisément imaginer que la patiente puisse choisir et que cette option lui soit proposée.

Récapitulons : 30% des CCIS évoluent en carcinome infiltrant dans un délai moyen d’apparition de dix ans. Dix ans.

Ce qui veut dire que 70% n’évoluent pas, ne sont pas des cancers mais entrent dans les statistiques du cancer. C’est très clairement le travail du médecin traitant d’expliquer à une patiente la complexité de cette situation. Expliquer cela revient à dire à la patiente qu’elle a le choix et que ce choix est possible sans se mettre plus en danger selon l’option choisie.

Rappelons que le cancer du sein peut tuer même quand on a commencé à le traiter sous forme de CCIS, et il peut aussi guérir quand bien même très volumineux. La question de l’histoire naturelle de la maladie reste ouverte et irrésolue.

Mais nous n’en serions pas là si les dépistages systématiques cessaient car les CCIS sont apparus avec la mammographie de dépistage.