J’ai poussé la porte de la chambre, il était là assis sur son fauteuil, la minerve ne soutenait plus sa tête et j’ai su qu’il était mort. Sa tête penchait à gauche, la minerve empêchait qu’elle touche son épaule.
Depuis des semaines les douleurs entravaient tout mouvement de sa nuque. Rasé de frais, propre et habillé d’un pantalon de flanelle gris et d’un pull en coton, assis dans son fauteuil roulant, il venait de déjeuner de quelques bouchées d’un dessert sucré au prix d’un effort incroyable, les yeux clos, n’ayant plus la force de les ouvrir sur ce monde. Il avait à peine bougé ses doigts sur ma main, j’avais caressé longuement sa joue et dit : si c’est trop dur, lâche, laisse aller. Si c’est trop dur cesse, avais-je pensé, pars. L’infirmière était entrée pour lui donner une gélule de morphine avec un peu d’eau gélifiée.
Nous nous étions éloignés une heure, il avait choisi de partir à ce moment-là.
J’ai caressé sa tête, elle était encore chaude, seul le bout de son nez était froid, le sang quittait ses joues, ses mains reposaient sur ses genoux. La mort venait de le prendre. Sa poitrine ne se soulevait plus, j’ai appuyé sur le bouton d’appel, ma nièce a cherché un soignant. Nous avons cherché un pouls comme par automatisme, nous savions que son cœur avait cessé de battre. Il était parti sans témoin.
La doctoresse est arrivée en courant, depuis le couloir je lui ai dit de ralentir, il était trop tard et se hâter devenait inutile. Le temps s’était figé. Elle était émue, désolée, impuissante mais nous savions qu’il était au bout de son chemin, nulle faute n’avait été commise ici.
J’ai rangé ma colère envers la clinique cannoise et l’ai mise de côté pour la ressortir plus tard. Deux semaines de peu de soins, deux semaines où ils avaient négligé de le mobiliser, deux semaines où ils avaient été quasi maltraitants. En arrivant le matin j’avais demandé à savoir quelles étaient les observations que l’équipe avait faite à l’arrivée de mon père après le transfert. Nul doute n’était possible.
Ils l’ont allongé sur le lit , l’infirmier a dit mais il était grand. Plus tard, le jour de son ensevelissement un ami, qui avait participé à la toilette rituelle, m’a dit il était lourd. Mon père s’était tassé, rongé par l’âge et par l’arthrose, il avait maigri, ses muscles avaient fondu, il était fragile. Mais une fois les douleurs et la vie parties, une fois son corps détendu, il avait retrouvé sa taille dans la mort.
Je suis rentrée chez moi le lendemain du décès après avoir accompli les formalités et organisé les obsèques. Je n’étais pas seule pour cela, nous étions trois. Conduire trois cent cinquante kilomètres, ouvrir les volets de la maison, me coucher, dormir, passer une journée seule dans le silence. Dormir et partir au petit matin. Nous étions trois dans la voiture pour refaire le chemin vers notre ville natale, vers le cimetière où sont nos morts. Une autre voiture avait fait le chemin la veille, ils étaient trois. Nous nous sommes retrouvés devant la porte du cimetière avant les obsèques.
Nous avons visité les tombes de nos aînés, déposé des cailloux pour marquer notre passage. Regretté les herbes folles qui envahissent les allées des carrés anciens. Comme chaque fois j’ai expliqué qui étaient ces noms gravés sur la pierre. Pour que la génération qui me suit sache.
Les autres sont arrivés, ses amis, les nôtres et puis le rabbin nous a fait signe et nous sommes entrés dans l’oratoire du cimetière pour un office de souvenir. Plus tard, la boite de sapin dénuée d’ornements a été déposée dans la tombe, trois pelletées de terre sèche chacun, une dernière prière et nous sommes sortis. L’employé des pompes funèbres nous a remis les certificats de décès.
Devant le cimetière on nous a embrassé, nous nous sommes réconfortés, nous avons fumé et puis nous sommes partis, à douze, déjeuner pour ne pas avoir à se quitter tout de suite. Un déjeuner léger, pas d’agapes ni de festin. Et comme la vie continue nous avons pris une photo avant de nous quitter. Vêtus de noirs et souriants, nous étions en vie.
J’ai perdu mon père le 1er juillet… ton article me touche beaucoup. Bises
Je t’embrasse…
Billet qui me parle au combien!
Une pensée à vous