Depuis quelques jours je reçois des mails et demandes sur Twitter d’élèves d’un IFSI – institut en formation aux soins infirmiers – situé en Picardie. Une des formatrices, ayant lu Fuck my cancer, a trouvé que mon témoignage posait des questions qu’un futur soignant devait/pouvait se poser.
En devoir de vacances ils ont dû lire Fuck my cancer. Il semble que certains y aient pris du plaisir, d’autres moins et comme partout d’autres ont pensé trouver une fiche de lecture prête à utiliser pour éviter de se taper un témoignage de patiente cancéreuse. Une page Wikipédia sur l’auteur leur aurait rendu service parce que chercher des informations prémâchées visiblement ça leur aurait permis de zapper la lecture et le compte rendu de dix lignes qui leur est demandé.
Dix lignes pour 178 pages, pas la mer à boire non plus, dix lignes ça n’est pas une dissertation, mais on peut les comprendre : admis en juillet, juste après les résultats du Bac pour les plus jeunes, les lectures d’été pour eux /elles ça n’allaient pas leur gâcher les vacances surtout qu’il fallait encore trouver à se loger, emprunter ou non de l’argent pour financer ces trois années d’études et dire au revoir à sa vie de lycéen et aux amis qui partaient ailleurs ou restaient.
Les plus mûrs de ces élèves ont déjà exercé pendant trois ans au moins le métier d’aide-soignant, d’auxiliaire de puériculture et /ou cinq ans une autre fonction. Bref le public des IFSI est large mais la majorité des étudiants entreprennent une formation initiale et est plutôt jeune.
Ils sortent du lycée. Je ne les ai pas rencontrés, pas encore. Ils ne me connaissent pour ceux et celles qui ont lu le livre et lu les pages de ce site que par mes prises de positions publiques. Je ne les connais que par leurs mails ou leurs tweets que j’ai eu la curiosité de lire.
La date de remise de leur devoir doit approcher alors ils m’écrivent , ce billet est pour eux. Il ne répond pas directement aux questions que j’ai reçues. Je ne vais pas gâcher les efforts de leurs formateurs pour les amener à lire et à réfléchir.
Pendant mon parcours cancer j’ai eu affaire à nombre d’infirmières, celles du service de chirurgie qui étaient en première ligne avant et après la chirurgie, souvent très jeunes. Les infirmières de bloc opératoire ( IBODE, tu verras c’est encore un autre métier), les infirmières anesthésistes, celles de salle de réveil, de soins intensifs, celles des suivis de pansements, celles de chimio. Mes infirmières libérales qui venaient une, deux trois fois par jour, sept jours sur sept pendant les longs, très longs mois de mes ennuis de cicatrisation.
Chacune, chacun apportait de l’humanité dans le parcours de soin, de la compétence et une vraie valeur ajoutée aux soins. Enfin presque chacune.
La première infirmière que j’ai rencontrée dans ma vie était un infirmier, je devais avoir six ans et lui me paraissait bien vieux. Je ne me souviens bien entendu pas des infirmières de la maternité où je suis née, et même si tu es bien jeune cher élève, oui les femmes accouchaient déjà en clinique et ou à l’hôpital du temps ou ma propre mère était en âge de procréer. Je ne suis pas si vieille que ça, toi qui t’interroges sur ma date de naissance.
J’étais enfant au temps où les seringues se stérilisaient encore et les aiguilles étaient encore trop grosses. C’était il y a un peu moins de cinquante ans. Ce très gentil monsieur m’expliqua calmement ce qu’il allait me faire et me souriait en me parlant. Je n’ai pas eu peur. Je n’ai plus jamais eu peur des soins, des prélèvements, des trocarts et autres drains de Redon.
Voilà ta responsabilité, ce premier regard que tu vas poser sur cet enfant, sur ce patient, ce regard doit être accompagné d’une parole qui va fonder un lien. Comme dans la vie. Alors inspire avant de tirer le rideau des urgences, inspire avant de te pencher sur le brancard, inspire et surtout réfléchit à qui est cet autre qui est là, vulnérable, à ta portée et qui attend de toi que tu le soulages, que tu le soignes, que tu prennes sa plainte, son clignement d’yeux , son râle pour un signe pas comme une nuisance.
Un peu plus tard dans ma vie, dans une clinique, une bonne sœur en uniforme et voile blanc me fit réviser l’admiration naïve et sans borne que j’avais alors pour la profession. Il y avait donc des brutes sans cœur qui exerçaient ce joli métier. Ma mère fit venir rapidement l’infirmier précédent qui resta à mes côtés le temps de mon hospitalisation et interdit l’accès à la cornette. Il était mon garde du corps, tant au propre qu’au figuré. C’est ainsi que j’ai construit l’image de votre profession. Vous êtes le rempart, le mur qui protège le malade de l’agression. En théorie. C’était une autre époque. Un autre exercice de votre métier. Un temps où les compétences techniques étaient peut-être moindres mais un temps où l’humain comptait plus. L’infirmier-infirmière était considéré, apprécié et remercié par les malades et leurs familles. Certains médecins travaillaient en ville avec leur infirmière. J’ai grandi, j’ai vieilli, j’ai rencontré d’autres professionnels de différentes générations, j’ai vu les pratiques évoluer, les formations devenir plus techniques, les spécialisations, la surcharge de travail, les difficultés des infirmiers libéraux, le manque de remplaçants, l’épuisement et le découragement. J’ai vu aussi la dévalorisation financière des actes et des salaires, les grèves, les réquisitions. J’ai mesuré le découragement des soignants et l’impact de ce découragement sur les malades. J’ai vu des visites bâclées chez des patients âgés. Infirmiers mal payés, déprimés et stressés signifie inévitablement moins d’attention et d’empathie pour le soigné.
J’espère donc cher élève que tu vivras dans une société où il y aura suffisamment d’infirmiers/infirmières de bonne humeur, des hommes et des femmes bien dans leurs vies et bien rémunérés pour que nous les malades puissions avoir, à soin constant, plus d’attention et la bienveillance qui a parfois disparu, noyée dans la technicité des actes et le stress de la surcharge de travail. J’espère que tu liras et que te cultiveras, que tu réévalueras tes pratiques, que tu continueras à te former sur le plan technique et humain, que tu éviteras les routines et que tu deviendras une personne soignante, empathique et pas un robot distributeur de pilules ou d’injections. Pour ça il y a une application.
J’espère aussi que tu t’impliqueras dans la défense de ton métier, que tu deviendras un soignant citoyen, que tu ne te laisseras pas enfermé dans une pensée balisée par d’autres pour toi.
Ce que je pense du monde médical, à ton avis ?
- du bien parfois
- du mal parfois
- qu’il est le reflet de notre société
- qu’il n’est pas homogène
- qu’il est aussi singulier que le monde des malades parce qu’aujourd’hui encore il est composé d’individus qui heureusement ne sont pas normés bien que souvent un peu trop formatés.
Voilà j’arrête là, ça ne va pas de donner les dix lignes que tu dois rendre mais franchement réfléchis, si j’ai 55 ans ici , ma date de naissance est facile à calculer et quand au jour et au mois tu n’en as pas besoin à moins que ton IFSI te demande de rédiger mon horoscope ce qui m’étonnerait. Et puis tu sais l’exercice des prévisions pour les cancéreux c’est très aléatoire et incertain.
Bises et comme disait l’autre: va, vis et deviens !
Note pour les autres : cet article est librement inspiré de la tribune que j’ai publiée comme invitée d’infirmière magazine au printemps, il n’est pas libre de droits de reproduction et blablabla , tribunal compétent blablabla, autorisation, blablabla. Vous avez compris?
Bonjour, je suis infirmier pour un prestataire de santé à domicile et je trouve votre blog très vrai. Sur internet on ne trouve que trop peu cela et c’est surement parce que vous le vivez. J’ai créé un blog depuis peu sur la santé à domicile et en le faisant j’espérais tomber sur des blogs comme le votre
bonne continuation
merci pour votre commentaire, mais comme vous l’avez lu tout n’est pas noir.J’ai rencontré des soignants formidables, les moutons noirs sont marginaux mais hélas on retient plutôt les mauvaises expériences. Infirmières, médecins et kiné qui m’ont soigné et me soignent encore sont des exemples à suivre. Les dérapages que je raconte sont autant de rappels à la vigilance de ce qui peut arriver si on se laisse enfermer dans une pratique. Bonne chance pour vos études et pour votre carrière, restez vigilante,la maltraitance est parfois au bout du couloir.
Je viens d’achever la lecture de votre livre…Je voudrais saluer votre courage et votre force de caractère. Je suis attérée par le manque d’humanisme du personnel soignant et plus particulièrement les médecins et radiologues..Je suis élève aide soignante , et tous les jours en cours, on nous répète que le patient est avant tout une personne avec des sentiments et qui le plus souvent quand il est atteint d’une pathologie a peur. Ce n’est pas juste une pathologie ou un numéro de dossier.Où sont passés l’empathie, la considération,la communication?Ont ils sauté ce cours??
Le manque de moyens et les conditions de travail difficiles doivent représenter un combat à l’heure actuelle pour notre profession mais certainement pas des excuses à la déshumanisation des soins. Le patient n’y est pour rien et comme vous le dites justement nous nous devons d’être le dernier rempart le préservant de cette violence institutionnelle de plus en plus présente. C’est là toute la difficulté. Aider le patient et se presérver aussi soi-même. Plus qu’un rempart, nous sommes alors un tampon… un combat qu’il est plus que temps d’intensifier, pour les patients comme pour nous.
Un joli article pour une profession difficile qui demande en permanence concentration, rigueur, compassion, empathie… Profession éminemment difficile et anxiogène,parfois schizophrène. Mais je changerai pour rien au monde ! Puissent les futures IDE lire, et comprendre entre les lignes.