J’écris ce billet une semaine avant la date anniversaire de la découverte de Carlo, mon cancer du sein ou devrais-je dire mes cancers des seins parce qu’ils étaient de trois types différents et étaient dans les deux seins. Tu vois ça commence déjà par un truc compliqué.
Un an, un bilan cancer s’impose. Pas le bilan cancer médical, celui-là est prévu aussi. Un bilan cancer personnel. Genre on rembobine le film et on réfléchit un peu sur les événements de cette année écoulée.
Juillet – août 2013
- Le mois des diagnostics et de l’angoisse mais aussi le mois de l’annonce d’une naissance à venir chez un de mes enfants.
- Sentiments éprouvés ces mois là : peur, joie, bonheur, colère, déception, gratitude, amour, frustration en cycles rapides et successifs
- Larmes, fous rires, douleurs, en cycles rapides et successifs
- Examens pratiqués : Mammo, écho, IRM, PETSCAN, scintigraphie, prises de sang, biopsies, radios.
- Chirurgie : mastectomie bi-latérale
De loin la période la plus pénible, celle où ton cerveau ne s’arrête jamais de fonctionner, celle où tu dois prendre des décisions, celle où tu déstabilises tout ton environnement avec ton cancer. Celle où les véritables liens se resserrent et où les prémices du ménage relationnel s’annoncent. Le cancer c’est une tornade ça aspire tout et disperse façon puzzle au gré des chutes.
Le cancer comme toute maladie potentiellement mortelle c’est aussi l’occasion supplémentaire de garder le contrôle de ta vie. De dire non, de poser tes limites tout en sachant que tu pourras toujours changer d’avis, enfin presque toujours. Bien sûr, refuser de subir demande une bonne dose d’énergie et cette dépense énorme au bilan cancer t’as intérêt à la provisionner dans la colonne adéquate parce que chérie tu vas payer et cher. Donc si t’as pas prévu, si t’as fait t’as cigale et que tu ne disposes pas d’une carte Premium énergie il va falloir être inventive.
Côté fioul j’ai choisi amour,cuisine et colère ; en réalité je n’ai pas choisi ça c’est imposé, l’amour des miens, de la cellule familiale, mon jules, mes enfants et leurs compagnes et compagnon, mes petits enfants et quelques amis qui se sont révélés très proches tout en étant lointains. Les autres ont disparu des radars très vite. La cuisine parce que c’est l’activité qui me permet de mettre un peu mon cerveau au repos. Des tâches manuelles contre la surchauffe. La colère parce que ça booste et que tu peux la diriger comme Cyclope des X-men sauf que moi je suis plutôt Hulk.
Bilan cancer : Si elle survit enfermez-là elle est givrée.
Septembre-octobre 2013
- Récupération et stratégie de survie
- Sentiments éprouvés :colère, déception, gratitude, amour, frustration en cycles rapides et successifs
- Larmes, fous rires, douleurs, en cycles rapides et successifs
- Examens pratiqués : prises de sang, Fraction d’éjection, ventriculaire
- Reprise de chirurgie pose et dépose de cathéter
- Début de la chimiothérapie
- Incidents ; se reporter à cette page
Cette période c’est celle où tes infirmières sont essentielles et où ton stock de matériel de pansements envahit ton espace vital. Ton stock de draps propres doit rester au top si tu souhaites vivre avec un peu de confort.C’est aussi le dur apprentissage de la limitation de ton périmètre d’autonomie. Presque plus de bras, enfin ils sont là mais ne servent pas à grand chose.Tu arrives à isoler les muscles douloureux, les coups de scalpels, tu regardes tes cicatrices deux fois par jour et tu guettes chaque millimètre qui se ferme puis s’ouvre. Tu as envie de buter quelqu’un mais avec les pieds c’est difficile. Tu engages des Moldaves.
T’as passé ton examen patiente chieuse avec mention très bien, tu es l’épine dans le talon de tes médecins (sauf ton généraliste que tu couvres de chocolats.) Tu écris un peu plus.
Côté super pouvoirs tu t’allies avec une jeunette qui est une senior en cancers et une fine équipe d’empêcheuses de tourner en rond. Vous semez un peu le bazar dans des associations louches. Ça occupe.
Tu te fais raser la tête et testes des looks improbables qui te vont bien, tu optes pour le look tueuse à gages ou Blues brothers. chauve et lunettes noires. Tu marches et commences à aimer ça
Bilan cancer : givrée et tata flingueuse ; enfermez-là en zone sécurisée.
Novembre – décembre 2013
- Chimiothérapie
- Sentiments éprouvés :colère, déception, gratitude, amour, frustration en cycles rapides et successifs
- Larmes, fous rires, douleurs, en cycles rapides et successifs
- Examens pratiqués : prises de sang, Doppler, radios
- Pose de cathéter, thrombose
Là tout devient sérieux mais tu continues à jouer la carte dérision parce que sinon tu vas te pendre sauf que tes bras ne te permettent pas de nouer la corde, ça va de mal en pire avec un break lors de rassemblement de ta tribu qui te file une dose de fuel associée à la cortisone, ça compense un peu.
Tu t’en prends à tout ce qui bouge et tu ne regrettes rien.
Décembre se termine mal, très mal mais au final t’es toujours là. Tu continues à secouer le petit monde rose et tu trouves qu’une ministre n’est pas une cancéreuse comme les autres. Elle est pire. tu l’écris deux fois, le comique de répétition te tente. Tu te cognes aussi un ours des Carpathes parce qu’il ne faut pas trop de chercher des poux sur ton crâne chauve
Qui es-tu devenue pendant ces six mois qui ont changé ta vie ? Tu n’as pas encore de réponse mais les autres t’en donnent. C’est insatisfaisant, tu sens que tu es un boulet pour tes proches, que tout a été modifié et que l’incertitude alliée au périmètre de vie réduit ça ne peut pas continuer.
Tu termines l’année avec des ennuis de fric abyssaux et tu ne peux toujours pas ramer, tes bras restent inutilisables.
Comme tout le monde, t’espères que l’année qui arrive sera meilleure, sauf que tu ne vois pas très bien pourquoi.
Tu vois le bilan cancer semestriel n’est pas follement gai. Fuck my cancer !
La suite au prochain épisode.
